Nous quittons la région d’Etosha pour pénétrer dans le Kaokoveld ou Kaokoland, le Nord Ouest de la Namibie, la partie la plus sauvage, la partie la moins développée. On passe à travers une frontière sanitaire au-delà de laquelle les contrôles vétérinaires sont inexistants (donc pas de sortie de viande issue de cette zone). Plus de grandes fermes de blancs mais de multiples troupeaux nomades avec leurs gardiens. Un peu moins d’animaux aussi sur les routes même si des panneaux tentent de nous mettre sous pression en nous montrant des éléphants.
Cette frontière est celle créée par les Sud-africains lorsqu’ils ont envahi la Namibie pour en chasser les Allemands il y a 100 ans, sous la pression internationale. Outrepassant leur mandat international, ils ont annexé le pays et y ont installés 6000 fermes de blancs, repoussant les indigènes au Nord de cette ligne. C’est une partie pauvre mais mieux irriguée. Les 3 ethnies les plus importantes sont les Owambo, arrivés tardivement et ayant échappé aux répressions allemandes, les Himbas, toujours isolés au Nord Ouest, et les Herero, groupe dominant du XVIème au XIXième siècle, ayant mené la révolte contre les allemands et l’ayant payé très cher. En 1904, après la bataille du Waterberg, les allemands poussèrent les Herero vers le désert de l’Est, le Omaheke et 65000 Herero y moururent de chaleur et de soif. A la fin de la bataille, 80% de la population Herero avait disparu.
Les Herero devraient être aujourd’hui près de 2 millions, le plus grand groupe et le maître du pays, mais ils ne sont que 120 000 et sont sous la domination des Owambo.
Cette ligne pourrait un jour disparaître, si la politique d’expropriation des blancs en cours est conduite jusqu’à son terme. Le but est de former de plus petites parcelles et de les attribuer à des Namibiens noirs sans terre, afin de donner du travail à tous. Calquée sur celle du Zimbabwe, cette politique ne résout malheureusement pas les difficultés économiques du pays (au Zimbabwe non plus d’ailleurs où l’inflation est à 3 ou 4 chiffres).
Arrivée à Opuwo, la plus grande ville du nord, ville à l’ambiance bizarre. Des femmes Herero avec leurs belle robe et chapeau à cornes de couleurs vives, des femmes Himbas habillées en peau et rouge ocre, portant leur enfant ligoté sur le dos, et les autres habillées à l’occidentale, certaines en tailleur jupe.
Nous nous installons dans un camp où nous rencontrons 2 anglais en séjour de recherche: un photographe et un psychologue, venus étudier le passage des Himbas à la ville. Est-ce que leur sentiment de plénitude est altéré par leur socialisation ou ont-ils une aptitude qui transcende les affres de la vie citadine? Cela fait un mois qu’ils tournent dans les villages du Kaokoland, interviewant et photographiant des Himbas, ou quelquefois des Herero se prétendant Himbas. Ils distinguent maintenant:
- les Himbas des champs, avec ceux de grand champ et ceux OGM. Les Himbas de grand champ vivent tranquillement dans leurs villages isolés, intouchés, immuables, retardant le contact avec la civilisation alentours; les OGM ont déjà été ravagés par le contact avec la civilisation occidentale et les signes les plus manifestes sont les piles de bouteilles de bière à l’entrée du village; l’alcool a fait son effet.
- les Himbas de bord de route; ils ont déplacé leur village en bord des axes routiers et misent à fond sur les tourist-dollars, vendant leur photo, envoyant les enfants mendier sur les routes. Dès qu’un 4x4 blanc approche, c’est la course pour l’arrêter en barrant la route.
- les Himbas des villes, qui s’acclimatent comme ils peuvent, essayant de garder un troupeau à l’extérieur de la ville quand même, quitte à payer quelqu‘un pour le faire.
Malgré leur guide, ces 2 Anglais ont toutes les peines du monde à rencontrer des Himbas car les vrais n’ont que faire de leurs études, ils sont juste intéressés par leur troupeau et une conversation différente les lasse assez vite; les OGM ne veulent que de l’argent et répondent ce que veulent entendre les étrangers, ceux de la ville sont pour moitié des Herero venus prendre l’argent contre une interview. Ils sont très sympas et nous faisons un barbecue intéressant le soir en leur compagnie.
Nous rencontrons aussi une famille de Hollandais dans leur 11ème mois de traversée de l’Afrique du Nord au Sud en camion. 3 enfants, des cernes sous les chaussettes et encore un mois de bourlingue pour rejoindre Le Cap et repartir. Ils reviennent de 2 jours d’excursion avec guide à la rencontre des Himbas, une journée pour s’éloigner et trouver un village, une nuit sur place et une matinée de rencontre avant de rentrer. Expérience ratée, village de Himbas OGM comme disent les Anglais, peu de contacts et leurs sacs de provisions apportés sont partis pour moitié dans une grande bassine à fermenter pour faire de l’alcool. Le temps de passer un savon au guide, ils vont essayer de recommencer le lendemain avec un autre guide; ils sont acharnés.
Cela nous calme un peu sur le trip « partir à la rencontre des Himbas » et nous n’avons aucune envie de faire un safari photo dans un village. Nous verrons donc qui nous rencontrerons sur notre route.
Nous partons le lendemain vers le Nord pour Epupa Falls à la frontière de l’Angola. La piste se met à traverser des paysages de plus en plus montagneux, avec des pentes jaunes. Des énormes plateaux au loin font un second rideau.
Sur la route, des Himbas nous arrêtent régulièrement. Ils demandent de l’argent pour des photos, des bonbons, du sucre. Leur apparence et leur accoutrement sont vraiment extraordinaires mais nous résistons aux photos.
Les petits villages se succèdent.
Au nord, une barrière de montagne marque le passage vers l’Angola et les pentes se rapprochent.
Il faut régulièrement éviter les troupeaux pour passer et la progression est lente.
Nous arrivons à Epupa Falls et nous installons au bord de l’eau dans un lodge tenu par des Namibiens blancs et cela fait tout bizarre. La région est sûrement la plus démunie qu’il nous ait été donné de traverser, et cette enclave de Namibiens et Sud-Africains, au bord de l’eau, dans l’opulence, semble vraiment déplacée. Ils organisent des safari photo chez les Himbas et leurs photos résument la vision de l’expédition. Des voitures ouvertes et des touristes qui filment depuis la voiture.
Nous allons nous promener au bord des chutes et nous sommes surpris par la végétation. L’aridité de la région est coupée par la rivière Kunene et les chutes et une masse verte enveloppe le paysage.
Après une nuit enfin plus clémente au niveau des températures, nous tentons de remonter la rivière pour aller voir les crocodiles. Imprudents, nous nous embourbons dans un cours d’eau (enfin, de boue) et il nous faut l’aide de 10 villageois pour nous débloquer. C’est pas la honte, ça?! Le gros 4x4 blanc plein de blancs trop bêtes pour passer une flaque de boue. Tout le monde s’y met et en quelques minutes, le piège se débloque. Ils sont tous très contents, surtout quand ils nous expliquent qu’ils vont pouvoir aller boire de l’alcool avec la rétribution qu’ils nous ont réclamée.
Bon, ben, pas de crocodiles alors! On aurait bien voulu voir la version africaine mais ce sera pour une autre fois!
Nous reprenons la route vers le sud et croisons un nombre incroyable de voitures. Alors que nous sommes normalement seuls sur les pistes, cette petite route est chargée. Les vacances Sud-Africaines ont commencé, il neige au Cap, ils filent tous vers le Nord.
Cette fois encore, sur la route, nous sommes arrêtés par des enfants Himbas; mais quand nous leur expliquons que nous n’avons pas de bonbons, ils nous jettent des pierres! Ah, la joie des rencontres interculturelles, cela va nous coûter le dépôt de garantie pour la voiture! Cette petite aventure nous met très mal à l’aise, triste à vrai dire, et cela se prolonge quand nous arrivons à Opuwo pour refaire des courses de vivres. Alors que Virginie se rend vers le Supermarché, un gars alcoolisé lui balance un sac de ferraille à travers la figure. Cela ne gêne personne, il doit être bourré, mais ça calme quand même! Un peu plus tard, un autre nous ordonne de lui donner de l’argent, puisque nous avons un 4x4 et pas lui!
C’est bizarre mais nous n’avons plus trop envie de faire de rencontres aujourd’hui, nous allons nous contenter de faire de la route, sans nous arrêter. Il y a des jours avec et des jours sans!
Nous partons donc vers le Sud, sur la route de Sesfontein. C’est le pincement au cœur à chaque fois qu’une bande d’enfants ralentit la voiture mais tout se passe bien. Les paysages sont magnifiques, le relief change tous les 30 kilomètres. Nous passons à travers des montagnes rouges, puis jaunes, sur des plateaux gris puis descendons à travers un défilé qui même au Damaraland. Nous passons par le pass Joubert, un col à pic à travers la montagne et nous sommes bien content d’avoir un 4x4, je sens suis pas sûr qu’un camping car soit capable de prendre cette côte. En bas, une voiture fume de sa montée. De l’autre côté, en fin de descente, des Sud-Africains nous arrêtent pour nous demander des outils car ils viennent de casser un moyeu sur leur remorque. Nous sommes faiblement équipés et leur promettons de leur faire envoyer quelqu’un du prochain village. Nul besoin de préciser que le téléphone (que nous avons pris comme secours pour ces moments-là) ne passe pas ici! Quand on sort du défilé rouge, la plaine est parsemée de petites collines brunes qui tranchent sur le tapis vert, en créant des vagues à l‘horizon. C’est magnifique. Sur le bord de la route, des panneaux nous rappellent que nous sommes sur le territoire des éléphants du désert. En se rapprochant, les collines passent du brun au rouge.
Nous dormons à Sesfontein chez une Herero charmante, qui nous apprend tout sur les plantes de la région, les arbres qu’il faut utiliser pour se laver les dents, les racines contre les maux de tête, les caches à scorpions, etc. Elle nous montre comment choisir les cactus du désert pour concocter un remède miracle (il ne faut pas gouter les pousses nature, je vous assure que c’est plus amer que tout ce que j’ai gouté, et une bière n’a pas suffi à faire passer le gout). Cela fait du bien de la rencontrer après la sale journée que nous avons passée. C’est peut-^tre la première personne que nous rencontrons qui sourit ou rit! Le camp est vide, comme toujours (sauf à Epupa Falls) et nous faisons un grand feu, en évitant les arbres empoisonnés de la région, et les scorpions dans les arbres.
La région du Damaraland possède la plus grande concentration de scorpions au monde et la plus riche variété d‘espèces, 13 en tout, classées selon leur habitat (pierre, sable, arbres). Les enfants ne sont pas très prudents dans leurs jeux habituels dans les pierres et les arbres et nous ne sommes pas rassurés.
Le lendemain, nous empruntons la piste qui s’enfonce vers l’Ouest, vers Purros, vers la mer, à travers 100 kms de Kaokoveld sauvage. On ne peut pas aller jusque la mer car la Skelton coast a été privatisée sur la partie Nord mais on peut traverser les montagnes et le désert. La route est supposée être en bon état mais nous ne savons pas encore si nous allons jusqu’au bout ou si nous faisons simplement une incursion pour tenter notre chance avec les éléphants et les lions du désert.
Nous avançons à travers des collines, des cols de montagnes, des défilés jaunes, et les seuls animaux que nous arrivons à voir sont 2 springboks.
Au bout de 90 minutes, nous n’avons fait que 30 kilomètres et nous n’avons plus l’envie de continuer aujourd‘hui. Il va falloir la journée pour faire la route, puis la même chose le lendemain, et nous avons besoin de nous reposer. Après une colline franchie, il y en a encore une autre, puis une autre, puis une autre, c’est trop pour cette fois, même si c‘est très beau, et encore plus joli à l‘arrivée, paraît-il!
En plus, si les éléphants et les lions sont partis vivre dans le désert, c’était sûrement pour être tranquilles, alors on ne va pas insister.
Nous rebroussons donc chemin (ce sera pour une prochaine fois sans les enfants) et retraversons Sesfontein (400 habitants mais 4 bars et 1 liquor store) pour filer vers Warmquelle où nous devons trouver des sources chaudes.
Le chemin vers Warmquelle permet d’utiliser toutes les facultés motrices de notre 4x4, et la descente dans le camping à travers la rivière est marrante (sauf pour ceux qui la ratent et cassent leur 4x4 de ville!).
Il semble qu’il y ait eu une erreur de traduction car Warmquelle devrait signifier « sources chaudes » mais elles sont tout juste tièdes. Le terrain constitue tout de même une belle aire de jeux pour les enfants qui ne sont pas sortis de la voiture depuis le début du séjour. Comme nous sommes arrivés tôt, nous allons en profiter.
Demain, ce sera la descente dans le Damaraland et l’accès à la Skeleton Coast.