La région archéologique de Bagan se situe au centre ouest du Myanmar, au bord de l’Irrawaddy. Elle s’étend sur une surface équivalente à l’île de Manhattan. Sa splendeur date de l’époque où le roi Bamar Anawratha, sous l’impulsion du moine Shin Arahan, envoyé par Manuha le roi des Mon de Thaton, convertit son royaume des croyances hindous et Bouddhistes Mahayana (le Grand Véhicule, mais ça je l’ai déjà dit!) au Bouddhisme Theravada, qui caractérise le Myanmar encore aujourd’hui, comme les autres pays du large Siam. Nouvellement converti et plein de ferveur, le roi Anawratha envoya son armée vers le Sud pour prendre tout ce qui avait de la valeur. L’armée ramena des écritures saintes, des moines et des savants, et le roi Manuha. Pour plaire à Bouddha, le roi entama ensuite une période de construction religieuse. Pendant les 230 ans qui suivirent, avant que les Mongols ne balayent la région, plus de 4400 temples furent édifiés. 2230 ont survécu aux guerres, aux démontages, aux intempéries, aux chauves-souris, au tremblement de terre de 1975. Certains ont été restaurés sous l’égide de l’Unesco.
Bon, avant de commencer à vous raconter ce qu’on y a fait, il faut peut-être s’arrêter 2 secondes sur les différentes ethnies qui ont fait et font le Myanmar, car c’est la richesse et le malheur de ce pays. En voilà 4 sur les 1400 (nombre avancé par un birman mais ils ont un problème avec les grands nombres) qui ont joué un rôle constant dans l’histoire.
Les Mon, venus de l’Est de l’Inde ou du centre de l’Asie du Sud-Est, ont installé des terres fertiles sur le delta de l’Irrawaddy à travers la Thaîlande et le Cambodge. Leurs capitales se trouvaient à Thaton (Myanmar) et Nakhon Pathom (Thaïlande).
Les Pyu, arrivés des plateaux tibétains ou d’Inde vers 100 av JC, ont établi le premier vrai royaume avec des capitales dans le centre du Myanmar. Au 10ème siècle, les envahisseurs du Yunnan les réduisirent à l’esclavage et les firent lentement disparaître.
Les Bamar, descendus de l’Est de l’Himalaya vers le 9ème siècle, remplacèrent les Pyu vaincus dans le centre du Myanmar et posèrent les bases culturelles du Myanmar actuel. Ils s’établirent tout d’abord au Nord de Mandalay avant de descendre et de fonder Bagan en 849. Des siècles de bataille contre les Mon commencèrent, aboutissant lentement à une fusion des 2 cultures.
Les Rakhaing, associés parfois au Bangladesh actuel, aussi appelés Arakans, ethnie à part, se targuant d’un royaume stable établi 5 siècles av JC, contrôlèrent tout l’Ouest du Myanmar depuis Mrauk U et tout le golfe du Bengale.
Lorsque Bagan tomba, le royaume se divisa et le chaos régna durant 200 ans, avant que les Mon ne reprennent le dessus et n’établissent la capitale du nouveau royaume à Bago (près de Yangon). Pendant ce temps, les Shan (des Siamois/pas encore Thaîs, venus des montagnes de l’Est), qui avaient suivi les Mongols s’étaient emparés du Nord du pays et avaient fondé leur royaume à Inwa (près de Mandalay). Les Rakhaing, eux, bâtissaient à tout va pour rivaliser avec Bagan.
Les Bamar attendaient sagement, coincés au centre à Taungoo entre 2 grands royaumes, jouant l’un contre l’autre pour survivre et reprenant des forces. Au 16ème siècle, les rois Bamar de Taungoo furent assez puissants pour étendre leur royaume jusqu’aux abords d’Inwa, repoussant les Shan, et pour reprendre le Sud aux Mon, établissant leur capitale à Bago. Le nouveau roi bouta les Siamois pour longtemps hors du Myanmar, pris leur capitale Ayuthaya et réunifia le pays. A sa mort, la capitale fut bougée à Inwa. Après plusieurs reprises du pouvoir par les Mon, puis par les Bamar, etc, un roi décida d’étendre le royaume jusque chez les Rakhaing, le soumis et ramena quantité d’objets symboliques (dont le Bouddha Mahamuni). Mal lui en prit car les Anglais avaient des intérêts au Rakhaing. Les derniers rois étant des incompétents sanguinaires, les Anglais n’eurent aucun mal à conquérir le pays lorsque l’occasion se présenta en 1885. Pour assurer le contrôle du pays, ils s’aperçurent qu’ils n’avaient qu’à exercer de l’autorité sur les régions où les Bamar étaient majoritaires, tandis qu’ils pouvaient laisser relativement libres les régions du Chin, du Kachin, Shan, Kayin, …
Ce traitement différencié des ethnies allait être fatal aux premiers pas du Myanmar indépendant lorsque les ethnies allaient se retrouver seules entre elles, après la Seconde Guerre Mondiale et le départ forcé des Japonais. Le héros national Aung San Suu négocia l’indépendance de l’Angleterre puis convainquit les ethnies de signer un accord pour la mise en place d’un gouvernement d’union, sous l’égide d’une assemblée constituante élue, avec un droit de retrait au bout de 10 ans. Après l’élection largement remportée par les Bamar, un président issu des minorités fut nommé, un Shan, et pendant la nuit du 4 Janvier 1948, le Myanmar fut fondé, les anglais cédant la place. Ce fut le chaos. Le gouvernement dut faire face à l’essor des mafias, des rebelles, des communistes et des anti-communistes chinois du KMT soutenus par les Américains, au refus des ethnies des montagnes de se soumettre à une assemblée trop Bamar, aux musulmans du Rakhaing qui voulaient leur indépendance, aux Mon qui se réveillèrent, sans parler de factions armées locales, de groupes de résistants de la guerre, … Le gouvernement, au bord de la démission un grand nombre de fois, reprit pied petit à petit, et au bout de 5 ans, après la chute des forces de Chiang Kai-Shek au profit de Mao Zedong et de la fuite du KMT hors de Birmanie, il contrôlait presque le pays. En 1958, en crise économique, le premier ministre remit le pouvoir aux militaires, fierté de la nation depuis l’indépendance. Le général Ne Win remis de l’ordre dans le pays en 15 mois et organisa de nouvelles élections. Une fois le gouvernent élu, les mêmes dissensions reprirent et le général Ne Win reprit le pouvoir 2 ans plus tard, jetant le gouvernent en prison, abolissant le parlement et mettant en place son Conseil Révolutionnaire de 17 membres pour emmener le pays vers le Socialisme. Toutes les échoppes nationalisées jusqu’à la plus petite, le pays commença à manquer de tout et surtout de travail. Pour attaquer les riches, tous les gros billets de banque (50 K et 100 K à l’époque) furent annulés et les détenteurs ruinés. Parmi eux, des commerçants indiens et chinois arrivés avec les Anglais furent expulsés.
De 1965 à 1988, la descente aux enfers de la Birmanie suivit le même chemin sous la même main, Ne Win s’étant reconverti en président de la République en 1981. En 1988, les birmans se révoltèrent, soutenus par la prédiction que le pays deviendrait libre le 8/8/88, démoralisés par la nouvelle annulation de billets de banque, dégoûtés par l’incompétence de leur gouvernement. La révolte fut écrasée dans le sang et, pour faire bonne figure, un faux coup d’état militaire fut organisé pour mettre au pouvoir le Général Saw Maung, avec la promesse d’élection en mai 1989. L’opposition se constitua autour de la fille du héros de la Nation, Aung San Suu Kyi et commença la campagne. Le gouvernement s’agita, abandonnant d’un coup le socialisme pour le capitalisme (sauf pour quelques industries), repoussant les élections.
En Juillet1989, Aung San Suu Kyi fut mise en état d’arrestation; en mai 1990, son parti, le NLD, remporta les élections mais les élus furent emprisonnés.
Depuis, la Junte se repositionne, essayant des ouvertures, mais l’Ouest la boycottant, c’est naturellement vers la Chine et l’Asean qu’elle se tourne. En 2007, à court d’argent, la Junte augmente les prix des carburants de 500%, poussant les birmans et notamment les moines dans la rue. Fermeture et répression sanglante de nouveau. Pour calmer le jeu, organisation d’un référendum en mai 2008, tenue en fin de mois malgré le cyclone Nargis du 3 mai qui fit des centaines de milliers de morts et 2 millions de sans abris. Selon les autorités, le référendum approuva à la majorité la constitution de la Junte. On est toujours en attente des élections qui devaient être organisées par la suite.
Bon, j’aurais pu m’arrêter aux guerres Mon - Bamar mais les rivalités d’hier ont tellement marqué le pays qu’il fallait pousser l’histoire jusqu’un peu plus loin pour comprendre qu’aujourd’hui, si la junte se retirait et laissait les rênes au NLD, nul ne sait si les vieilles tensions ne resurgiraient pas et si le pays ne retomberait pas dans le chaos. Les Shan, en commerce avec les Chinois pour le jade, l’émeraude et l’héroïne, sont déjà très bien armés et prennent beaucoup de liberté par rapport à la junte dans le Nord-Est. A quand la revanche sur les Bamar? Ou peut-être que les birmans sont prêts pour la démocratie, pour peu que la puissance étrangère qui mange le pays s’en accommode. En attendant, la Junte attaque systématiquement les minorités ethniques, déplaçant les populations, gommant les différences culturelles quand elle le peut. Plusieurs ethnies sont toujours en guerre ouverte contre la Junte (les Karen ou Kayin, les Kachin, les Shan de manière moins visible, les Wa qui vivent de la drogue, …).
Mais revenons à cette période de stabilité et de croissance que connut le régime il y a mille ans et qui permit à Bagan de devenir un lieu de pèlerinage dans toute l’Asie du Sud Est, avant de tomber et d‘être à la main de bandits et de mauvais esprits (les nat) pendant 400 ans.
Ou plutôt allons voir.
Notre taxi, patient car grassement payé, nous a accompagnés successivement dans 3 hôtels avant que nous ne trouvions notre bonheur. Une grande chambre triple avec un matelas en plus, en face de la pagode Shwezigon à Nyaung U. Etant tous mal en point, la fin de la première journée se limita à du repos et à la visite de la belle paya Shwezigon avec des enfants du village.
Virginie étant toujours trop malade, nous sommes allés manger entre hommes, regardant un spectacle de marionnettes au passage.
Pour notre première vraie journée de visite, nous prenons une carriole à cheval très confortable pour parcourir toute la zone et prendre nos repères.
Les enfants adorent, ce sont eux qui conduisent, et cela nous permet de ne pas souffrir trop du soleil. Nous sommes en effet dans le centre sec du Myanmar et il fait vraiment chaud. La saison chaude s’étend de mars à mai avant la mousson; ce sont les vacances scolaires.
Nous passons la mâtinée à passer de temples en temples, certains permettant de voir le paysage. Les enfants s’en donnent à cœur joie car il faut dénicher des escaliers de pierre dérobés et gravir dans le noir avant d’arriver sur une plateforme.
Il y a des temples à perte de vue, des tout-petits et des grands imposants comme des cathédrales. Dans les grands comme dans les petits, des Bouddhas dorés sont postés aux quatre points cardinaux.
Nous faisons une pause entre 13 et 16 heures pour manger et faire l’école avant de repartir en carriole et finir par le coucher de soleil en haut d’un temple. Sur un des temples, Théo se fait habiller en habit traditionnel, le longyi, et se fait enduire le visage d'une mixture le protégeant du soleil. Tous les birmans ont ces belles couleurs sur le visage. J'en fais de même.
Malheureusement, pendant la saison sèche, comme dans tous les pays d’Asie, la visibilité n’est pas bonne, l’air est poussiéreux et le soleil disparaît dans une couche grise avant de se coucher. Il faut venir après les pluies, en octobre - novembre, pour avoir la meilleure visibilité.
C’est un moment très agréable quand même que de voir le jour décliner en haut d’un temple, dans le silence, seulement troué par des cris d’enfants qui jouent aux cartes. Tiens! Ce sont les miens!
Le lendemain, nous louons des vélos pour re-parcourir la zone à notre rythme et explorer de nouveaux endroits. Il nous faut un long moment pour régler les vélos qui ne sont pas vraiment de la taille des enfants et nous partons tard. La chaleur devient vite très forte mais nous progressons vers de nouveaux sites.
Sur les sites les plus touristiques, il y a toujours des marchands de bibelots, de peinture de sable, de cartes postales. Sur un des sites, pour changer, une jeune fille nous propose d’acheter son petit frère pour 1 dollar. C’est pour rire, mais connaissant la passion de Théo pour les bébés, j’ai un peu peur qu’il la prenne au mot!
Aujourd’hui, nous nous concentrons sur les temples dans lesquels des peintures ont été conservées (1000 ans quand même). Certains ne peuvent pas être pris en photos mais sont de toute beauté.
L’après-midi, la troupe est moins vaillante car le mal aux fesses se fait sentir, si bien que je dois prendre Louis sur mon porte-bagages.
Pour le coucher du soleil, je laisse Virginie et les enfants sur une paya où sont rassemblées quelques personnes et je roule seul vers une autre paya où il n’y a personne, si ce n’est une vieille femme qui fait brûler de l’encens pendant que je regarde le soleil se coucher. Même chose qu’hier, la couche de poussière masque le coucher mais le moment est très agréable.
En tous cas plus que le retour qui se fait dans le noir sans lumière et les pneus à plat.
Comme nous sommes toujours en liste d’attente pour notre vol pour Heho, nous passons une autre journée à Bagan.
Nous en profitons pour aller voir le marché de Nyaung U et faire bouger un peu la compagnie aérienne qui finit par nous donner des billets pour le lendemain. Nous passons une journée tranquille à nous reposer. La santé revient pour tout le monde. Et une bonne nouvelle enfin, la dent de Louis est enfin tombée! Cela faisait plusieurs jours qu’on attendait cela (et surtout que Louis arrête de se mettre les doigts dans la bouche continuellement). La photo au marché, c'est avant la dent (pas content!).
Bagan est un site vraiment extraordinaire, peut-être encore plus joli après les pluies de mousson, mais qui nous a ravis pendant 3 jours. Là comme ailleurs, les birmans sont toujours souriants, curieux des enfants et très prévenants.
Bagan est aussi un site largement investi par le gouvernement et par leur cher ami Tay Za, l’entrepreneur qui détient, entre autres, la compagnie Air Bagan. Quand vous payez la taxe d’arrivée dans la zone archéologique, on vous donne une petite carte portant au dos les logos des compagnies sponsorisant Bagan; que des compagnies de Tay Za. Dans les années 90, la zone a été déclarée interdite à l’urbanisme et les villageois qui habitaient depuis des années sur le site se sont faits expulser (de Old Bagan) pour aller reconstruire leur village plus loin (New Bagan village). Depuis, il a été permis à Tay Za de construire 2 palaces en plein milieu du site, dont un contient une tour d’observation gigantesque (payante). En contrepartie, Tay Za a reconstruit un palais à l’image de celui des rois d’antan sur le site.
Le lendemain, nous partons tôt vers l’aéroport, qui est peut-être le plus moderne du Myanmar, ce qui s’accorde avec le caractère hyper-touristique du site. Nous sommes étonnés de voir autant de personnes, de groupes de français, d’allemands, de chinois, …, à l’aéroport car nous ne les avons pas croisés sur le site ou en ville. Ils devaient dormir dans des resorts adéquats et voyager en bus pendant que nous étions à vélo. Nous croisons aussi un couple de français en harmonie avec le pays: pour lui, mocassins en daim Weston, jean foncé, chemise blanche, poches, grande veste safari beige et longs cheveux blancs permanentés; pour elle, bottes hautes à talons, jean foncé, chemise blanche à long col, foulard coloré, lunettes de marque sur les cheveux, sac Vuitton voyage, maquillage de brousse. Il fait super chaud mais ils tiennent le coup, c’est la classe.
Nous partons vers le Centre Est, pour Heho puis Kalaw, en montagne, pour aller marcher. Ensuite, nous nous rendrons au Lac Inlé.