Après 3700 kilomètres en 5 heures d’avion et seulement 2 heures de décalage horaire, nous atterrissons sur la plus longue piste du monde (elle peut être utilisée par la navette spatiale comme piste de secours).
Arrivés dans notre pension, tenue par Antoine et Lolita, nous croisons les Fourcade, impatients de partir le soir même pour Tahiti. Nous discutons un long moment avec Lolita, qui partage simplement ses soucis familiaux, pendant que nos enfants investissent le jardin et jouent aux chevaliers. Nous ne pourrons pas partager une glace car c’est dimanche mais nous allons nous balader ensemble sur le port. Encore une brève rencontre; la prochaine pourrait être pour la Nouvelle-Zélande ou pour Sydney.
L’endroit pousse à la rencontre on dirait car ils ont fait ici la connaissance de personnes de Moorea qui étaient de passage et qui les ont invités à passer les voir dans 15 jours. Nous, nos voisins viennent d’Alsace et, pas de chance, ce n’est pas sur notre route!
Après de petites courses pour le pique-nique du lendemain: du caviar, du champagne, des homards, des truffes et quelques macarons (c’est-à-dire du pain, du jambon et du fromage au prix des aliments sus-cités), nos louons une voiture pour les 3 jours afin d’explorer l’île plus librement. Avec 24 kms sur 16 et 12 kms, cela ne devrait pas nous prendre trop longtemps.
Pour tous ceux qui voyagent comme des valises et qui n’ont pas pris le soin de se renseigner sur l’ile de Pâques avant de lire ce blog, je me vois obligé de résumer ce qu’on croit savoir sur l’endroit avant d’aller plus loin. Comme on ne sait pas grand-chose, et que je vais faire des approximations, apprêtez-vous à ressortir de l’exercice aussi ignorants qu’avant!
Les premiers habitants de l’île seraient venus de Polynésie, sûrement des Marquises, il y a 17 siècles ou seulement 8 siècles (une petite marge pour la durée de la traversée) selon les estimations. Il pourrait s’agir d’un Roi battu sur son île et forcé à l’exil, qui serait parti conquérir un autre site. En tous cas, il est arrivé chargé, prêt à repeupler, à replanter et à travailler la terre. Il avait envoyé 7 éclaireurs, des dignitaires, qui ont découvert l’île et qui, comme récompense posthume, ont eu droit à leurs statues sur l’île, les seules à regarder la mer. Elles regardent dans la direction des Marquises selon certains, dans la direction du coucher du soleil le jour d’équinoxe, pour d‘autres, elles ne regardaient pas la mer comme cela avant d‘être restaurées à en croire des locaux; bref, ils ont leurs 7 statues. Evidemment, on ne dit pas statue mais moaï sinon on passe pour un inculte.
L’île fut divisée, comme un gâteau, en 10 ou 12 parties pour accueillir les différents clans, chacun ayant un accès à la mer, le Roi se gardant la plage de sable du Nord comme territoire. Les nobles et religieux installés vers la plage, les autres vers le centre où ils cultivaient et élevaient le bétail. Les lieux de culte se trouvent en majorité proches de l’eau. Lorsque le chef/roi d’un clan mourrait, sa dépouille était brûlée et placée dans une chambre sous une longue plateforme de pierre (un ahu), sur laquelle on érigeait un moaï. Le moaï était tourné vers l’intérieur de l’île, vers la carrière où il avait été façonné, le cratère d’un volcan situé au Nord Est de l’île. Il portait un chapeau rouge (qui venait d‘un autre volcan du centre), avait des yeux blancs et noirs faits de pierres. Il symbolisait la puissance, renfermait des forces sacrées (mana) et veillait à la fécondité et à la fertilité pour le clan. Le chapeau symbolisait la féminité alors que le fier moaï érigé, tenant en l’air son petit kiki, symbolisait … oui, la virilité.
Tout allait bien dans ce petit monde, les rois mourraient, les tailleurs taillaient, les nobles payaient avec le bois qui avait servi au roulage du moaï, et la course à la taille menait bon train. Jusqu’au moment où ayant trop déboisé, trop cultivé, trop péché, la nature et l’organisation pacifique clanique ont fini par se dérégler. Guerres de clans, victoire de l’un, annexion du territoire du vaincu. Pour achever la soumission, les moaï du vaincu étaient énucléés, basculés face contre terre, dans la position où les premiers explorateurs les ont trouvés.
Cette période de guerre aurait été suivie par une phase de réorganisation politique et religieuse et l’apparition d’un nouveau culte et d’une nouvelle façon de réguler le pouvoir. On est autour du début du XVII ème siècle.
C’est l’apparition du culte de l’homme-oiseau, nouveau demi-dieu qui règne pour un temps sur l’île. Pour devenir l’homme-oiseau, les élus de chaque clan s’affrontaient dans une épreuve consistant à ramener le plus vite possible à la nage le premier œuf d’un oiseau migrateur qui nidifiait sur une petite île devant le volcan du Sud-Ouest. Cette période sera riche en gravures, en pétroglyphes, sur toutes les pierres, les rochers, les façades.
Cette période de nouveau pacifique marque aussi l’arrivée des premiers explorateurs, qui reviendront, notamment du Pérou, pour s’approvisionner en esclaves. Les clans se battent contre l’étranger, se cachent, mais comme toujours ne peuvent rien contre les nouvelles maladies qui débarquent.
Aujourd’hui, l’île est un territoire Chilien, fier de son histoire ou de ses histoires, avec une culture maori encore vivace. Pas de débouchés économiques si ce n’est le tourisme et donc de nouvelles invasions.
Un peu long comme résumé de fausses vérités, et encore je vous ai épargné les cultes de la fécondité et les rites associés hérités du bouddhisme!
Mais si l’on ne cherche pas à mettre un peu d’histoire sur les bouts de pierre qui jonchent l’ile, cela devient juste une belle île volcanique, perdue à 4000 kilomètres de tout, sur laquelle le temps va lentement.
Certains débarquent ici pour 3 jours et repartent 1 an après, envoutés par ce caractère hors du temps, hors des cartes.
Pour nous, c’était une étape, la fin de l’Amérique du Sud et le début de l’Océanie, de la culture Maori et nous étions impatients. Impatients de voir, puis impatients de bouger.
Nous avons apprécié tous les sites de l’île au lever du soleil (derrière les nuages), au coucher du soleil, à la plage, sur et dans les volcans, dans des tubes de lave, dans des grottes sans fin, sous la pluie et en pleine chaleur.
Les landes de pierre poussent à la rêverie, les côtes déchiquetées sont magnifiques, l'horizon est toujours mystérieux et plus impressionnant qu'ailleurs.
Nous avons organisé une chasse aux œufs de Pâques pour les enfants (les chevaux autour n’ont rien compris à notre manège). Des chocolats achetés au Chili qui ont bien voyagé et qui ont fait le bonheur des enfants. Cela ne rime à rien mais cela fait plaisir.
Nous avons réussi à reprendre des forces grâce aux glaces, brownies et muffins de Mikafé.
Nous avons même réussi à goûter à la belle cuisine de la Cabane du Pécheur (le bon resto de l‘île), rapidement, après avoir enregistré les bagages à l'aéroport et avant d’embarquer pour le vol de Tahiti!
Bref, nous avons essayé de profiter au mieux de cette trop courte halte chez les Moais, de nous remplir l'esprit de cette folle histoire du bout du monde, de ses mystères irrésolus, de ses îliens bourrus. C'est une expérience unique, un endroit de magie, et si loin de tout que dans quelques mois sans doute, il nous apparaîtra comme irréel, comme un rêve ...