Dès notre arrivée à Phnom Penh, nous avons ressenti un choc. Partis le matin de Yangon, en escale dans le délire commercial de l'aéroport de Bangkok, nous pensions atterrir dans une ville plus ou moins comparable à Yangon. Et pourtant la ville, sans être riche, nous a paru mille fois plus développée. Pas juste 30 minutes de décalage horaire mais presque 30 ans de décalage économique, et pourtant Phnom Penh n'a pas été à la fête depuis 30 ans.
Il faut dire aussi que Phnom Penh affiche des signes d’incohérence visibles. Malgré la pauvreté du Cambodge où la plupart de la population est paysanne et peine à gagner 1 dollar par jour (comme au Myanmar), la ville compte un nombre indécent de 4x4 de luxe. Une voiture sur 2. En moins d’une heure, les enfants étaient capables de différencier et montrer toute la gamme de 4x4 Lexus, du banal 300 au 570! Sans doute les fonctionnaires centraux, les expats, les commerçants chinois, …
Pour nous, la ville paraissait aussi regorger de commerces, de bars et de restaurants, etc. Nous avions élu domicile près des quais et c’est effectivement un lieu très touristique. On y croise beaucoup d’enfants mendiants et dès la nuit tombée, beaucoup de filles seules à la terrasse des bars.
Nous logeons chez un cambodgien de 38 ans qui a quitté la France il y a 2 ans pour venir épouser celle qu'il rencontra en vacances au Cambodge. Plus de 30 ans en France après la fuite réussie de ses parents pour les camps vietnamiens puis l'exil vers la France. Toute sa famille n'a pas eu cette chance et ses cousins ont des histoires atroces à raconter sur les khmers rouges.
Le dernier choc est venu du fait que les Cambodgiens n'ont manifestement pas réussi à se débarrasser des affres du passage français.
Pour notre première journée, nous nous sommes gavés de viennoiseries délicieuses parce que ... parce que nous sommes des goinfres, puis nous partons explorer les environs à pied. Direction le musée national et le palais royal.
La salle du trône est fermée pour préparer une réception mais nous pourrons observer où vont les 18 $ du ticket d'entrée: le palais est flambant neuf et les bâtiments annexes sont pour certains en réfection.
Le site abrite aussi la pagode d'argent, fière de son sol fait de 5000 dalles d'un kilo d'argent chacune. Elles sont cachées sous des tapis et quelques unes sont visibles mais scotchées avec du scotch de déménageur; ça casse un peu l'ambiance. Cette pagode abrite des trésors du royaume, comme un Bouddha en or massif de 90 kilos, paré de plus de 9000 diamants, d'un Bouddha d'argent, d'un autre en bronze, d'une litière ornée de 23 kilos d'or et autres figurines en or massif, le tout pour un total de, tenez-vous bien Marise!, 595 fois le PIB national, plus le PIB du Bangladesh, c'est pour moi, c'est cadeau, ça me fait plaisir.
Il y a aussi bien sûr une empreinte du pied de Bouddha qui, grand marcheur, est passé dans toutes les villes de l'Asie du Sud Est. Cela n'a pas dû être trop difficile pour lui car l'empreinte mesure 4 mètres.
Le site abrite enfin des geckos de taille impressionnante, et pourtant, nous en avons vus des geckos!
Comme les enfants ont été patients et exemplaires (je rigole!), nous sommes allés faire un tour aux jeux qui jouxtent le palais puis nous avons traversé la ville sous le soleil de midi pour chercher la librairie française du centre culturel. Après un achat d'Harry Potter 4 (775 pages très lourdes), de livres pour Louis et d'un pavé sur les destins tragiques d'amants du Cambodge et du Laos, nous avons déjeuné au restaurant attenant au centre, une des officines du Friends qui forme à l'hôtellerie des enfants des rues. Excellent buffet avec le meilleur amok de tofu de tout le séjour!
Petit détour par un marché pour acheter des fruits et pause à l'auberge pour éviter la chaleur avant de repartir dans l'autre sens pour aller voir le Vat Phnom, sur la seule colline de la ville.
Au pied jouent des petits singes et la tentation était forte pour les enfants de jouer avec eux.
Mais finalement, c'est la structure de jeux d'en face qui a de nouveau remporté la mise. Imbattable.
Cette grosse journée se terminera par une nuit assez difficile.
Le 30 mars 2011, jour où nous arrivons à Phnom Penh au Cambodge, les Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens (CETC) écoutent l’appel fait au verdict édicté en juillet dernier contre Duch. Duch, c’est le surnom de l’homme qui conçut et dirigea le S21, le plus grand camp de détention et de torture du pays sous les khmers rouges.
Dans son plaidoyer, l’avocat de Duch, qui l’appelle affectueusement Ta Duch (grand-père Duch), le décrit comme « un petit secrétaire qui n’avait pas d’autorité réelle », un simple directeur de prison.
En oubliant de préciser que Duch avait une ligne directe codée avec le ministre de la Défense, qu’il pouvait envoyer ses gardes chercher un prisonnier dans une autre province, qu’il avait le pouvoir d’arrêter des secrétaires de zone comme Koy Thoun, Ya, Vorn Vet, que Duch a choisi le site du lycée Toul Svay Prey pour y installer définitivement S21, qu‘il était directeur du sinistre centre de détention M13, ancêtre de S21, d’où il emmena avec lui des hommes de main, qu’il a instruit, formé les tortionnaires et les gardes … Bref un petit paysan comme les autres qui cultive son lopin de riz selon les ordres du Kampuchea Démocratique, injustement accusé.
2 jours après notre arrivée, nous irons visiter, sans les enfants, le musée Tuol Sleng, qui occupe le lycée où se déroulèrent ces atrocités entre 1975 et 1978. 10 000 détenus, torturés sans relâche, puis massacrés à la matraque dans le camp d’extermination/charnier du sud de la ville, et 20 000 enfants... Les bâtiments sont laissés tels quels pour que le public puisse saisir le caractère inhumain du lieu dans ce cadre banal d’une école primaire et d'un lycée. Des barbelés sur les façades pour éviter que les détenus ne se suicident, des salles de classe où s’entassaient 60 prisonniers, d’autres réservées à la torture, d’autres à l’isolement dans des cases de briques ou de bois, des instruments de torture, et des milliers de photos en noir et blanc, extraites des registres de la prison. Chaque nouvel arrivant était photographié puis étiqueté, le système d’étiquetage s’améliorant avec les années. Ce sont des milliers de visages hagards d’hommes, de femmes, d’enfants, de nourrissons. Après la première étape de traque et destruction des espions à la solde de la CIA (paysans et leur femme et enfants arrivés ici sur dénonciation mais sans réelle raison), le régime passe à la purge des armées; les bourreaux du site seront exécutés par leurs remplaçants, le centre purgera les cadres de l’Est du pays à raison de dizaines par jour en 1978. Seulement 7 survivants qui ont été épargnés parce que leur peinture ou photographie plaisait assez à Duch.
A l’époque, les environs étaient vides car Pol Pot avait forcé tous les citadins à regagner la campagne et à intégrer des camps de rééducation socialiste par le travail aux champs. Aujourd’hui, la ville et la vie ont repris leur droit et le contraste entre le silence glacial du site et les bruits des maisons alentours est particulier. C’est une enclave. Les Cambodgiens qui visitent se conduisent très différemment des autres. Ils se saisissent des instruments de torture, n’hésitent pas à rire devant les photos, ce qui est pourtant interdit par des panneaux. Chacun sa façon de réagir.
La visite du site est assez éprouvante et le défilé de photos des victimes ne s’arrête jamais. La folie du lieu est prégnante. La photo de Duch est une de celles qui m’a le plus retourné. J’avais en tête une image du tortionnaire en herbe, lettré et déterminé à mettre sa passion destructrice au service du pouvoir naissant, suite à la lecture il y a une dizaine d’années du livre « le portail » de François Bizot, qui fut sous la coupe de Duch pendant 3 mois en 1971 et qui fut le seul occidental relâché par les khmers rouges avant 1975. Mais la photo de ce dément dans le cadre de sa dernière folie était trop forte.
Je n’ai fait que très peu de photos et j’en mets quelques unes pour, comme le disent les conservateurs du musée du génocide, « mettre en pleine lumière les preuves des crimes du régime ».
Cet après-midi là n’a pas été la plus facile et la matinée était quand même un peu plus enthousiasmante. Nous avons rendu une visite à la fameuse association « Pour un Sourire d’Enfant » PSE.
Cette association, créée il y a 15 ans, se concentre sur les enfants qui vivent sur et vivent de la plus grande décharge d'ordures de Phnom Penh. Des enfants qui attendent l'arrivée des camions pour se ruer sur les déchets, pour récupérer quelque chose à vendre ou à manger, qui meurent sous les chaines de bulldozers travaillant la décharge. Ayant commencé par nourrir correctement quelques enfants en 1996, l’association, qui a grandi de manière super pragmatique, est aujourd’hui capable de prendre en charge 6000 enfants par jour. Le but est d’offrir un avenir aux enfants par l’éducation et la professionnalisation.
Pour soutenir cette réussite, l’association assure aussi le logement des étudiants, le soutien matériel, social, médical et éducatif des familles, l’hébergement total des enfants orphelins ou en danger, la réponse aux besoins primaires des enfants pas encore pris en charge (douches, repas et soins quotidiens dispensés quotidiennement dans les paillotes aux abords de la décharge), la protection maternelle et infantile : suivi médical et nutritionnel des petits, éducation des mamans (hygiène et diététique), suivi et compléments nutritionnels pour les mamans enceintes et celles qui allaitent… Le développement des programmes et la marche de cette association sont très étonnants, d’une simplicité et d’une implacabilité incroyable! Cela génère un optimisme contagieux.
Le jour de notre visite était malheureusement celui de la préparation de leur gala de charité et tout le monde était plutôt occupé. Nous avons tout de même pu visiter le site avec un élève, voir les dortoirs, les infirmeries, les classes, les cuisines, les salons d'apprentissage, etc. Nous en sortons ébahis! Théo a même été se faire couper les cheveux par les élèves et nous irons finalement manger au restaurant école du site. Il était fermé pour la préparation mais ils l'ont rouvert pour nous!
Le film projeté au début est très touchant et les enfants en ont pris plein les yeux!
Le soir, nous avons rendez-vous avec des amis de Soulac/Toulouse, Geneviève et Gaétan Stanislas, qui voyagent depuis un trimestre entre le Pacifique et l'Asie et qui arrivent de Siem Reap, alors que nous y partons le lendemain.
Ils essayent de voir comment aider PSE à gérer leur parc informatique de 500 PCs et se rendent au gala de charité demain.
Nous échangeons nos carnets de route et nos conseils et passons une agréable soirée de voyageurs.
Le samedi matin, toujours fatigués par nos nuits sans climatisation, le départ en bus est un peu chaotique. Personne ne sait vraiment quel est le bon bus et comme tout bon asiatique, celui qui ne sait pas répond "oui" à n'importe quelle question. Finalement, presqu'à l'heure, nous embarquons pour 6 heures de route vers les temples d'Angkor. A l'arrivée, nous avons promis aux enfants qu'il y aurait une piscine.